The European Business Council for Africa

Panéliste aux MEDays Talks 2020 en version digitale, Étienne Giros, Président délégué du CIAN, s’est à la fois félicité de la situation sanitaire et inquiété de l’état économique et social de l’Afrique, où la croissance du chômage et du nombre de pauvres se compte en dizaines de millions. « Un traumatisme violent » que l’Europe devra contribuer à réparer.

« Souvenez-vous ! quand cette épidémie a commencé à se répandre, en janvier et février derniers, tout le monde prédisait que l’Afrique connaîtrait un désastre sanitaire absolument terrible ! Eh bien, aujourd’hui, la première leçon à en tirer, c’est que la catastrophe sanitaire annoncée n’a pas eu lieu ! » relève pour commencer Étienne Giros.

Comparant ensuite les chiffres des décès provoqués par la pandémie en France – quelque 50 000 pour 66 millions d’habitants – à ceux de l’Afrique – autour de 45 000 selon les derniers chiffres, pour 1,3 milliard d’Africains –, il livre ainsi un condensé très illustratif de l’exception africaine. 


Celle-ci apparaît d’ailleurs encore plus remarquable lorsque l’on sait que « 75 % des décès Covid africains sont le fait de seulement 6 pays – Afrique du Sud, Égypte, Maroc, Éthiopie, Nigeria et Algérie – sur les 54 du continent, ce qui met en exergue la faiblesse de l’impact de la pandémie dans les 48 autres pays africains.

« Il faut rendre hommage aux gouvernements africains
[qui] ont pris des mesures adaptées et sans faiblir »

Comment se fait-il que l’Afrique s’en sorte aussi bien ?
Étienne Giros relève trois raisons essentielles : d’abord la jeunesse de la population, dont les moins de 20 ans représentent environ la moitié, tandis que seulement 3,5 % des Africains ont plus de 65 ans. La deuxième raison : « Je pense qu’une certaine immunité, me semble-t-il, s’est développée dans la population, une immunité croisée », issue de la confrontation du continent à d’autres virus, et cela depuis bien des années.

La troisième raison, ce sont les politiques mises en œuvre « par les gouvernements africains (…). Ils ont pris des mesures adaptées et sans faiblir et je pense qu’ici, il faut leur rendre hommage ».

En effet, détaille le Président délégué du CIAN, « très vite en Afrique des fermetures de frontières ont eu lieu, des couvre-feux ont été instaurés, et cela tout en maintenant l’activité économique à un certain niveau, ce qui est une nécessité absolue sur un continent où 80 % à 90 % des emplois relèvent du secteur informel, donc sans aucun filet ou presque de protection sociale, et une visibilité économique réduite à un jour », une réalité prégnante qu’Étienne Giros résume en une question obsédante pour une population de plus en plus nombreuse : « Qu’est-ce que je mange demain ? »

« L’Afrique est confrontée à un traumatisme 
violent, économique et social »

Car, souligne-t-il, si la catastrophe sanitaire ne s’est pas produite, la situation économique et sociale est devenue très alarmante, avec une perte estimée de 20 millions d’emplois, et jusqu’à 50 millions de nouveaux pauvres attendus – un basculement qui réduit à néant les avancées laborieuses de ces dernières années. « L’Afrique a échappé à la crise sanitaire, mais elle est confrontée à un traumatisme violent, économique et social », souligne-t-il.

Certes, concède Étienne Giros, les difficultés économiques avaient commencé avant la pandémie, avec la chute vertigineuse des prix – du pétrole, des métaux et autres matières premières –, ce qui a entraîné des recettes très amoindries détériorant fortement les capacités budgétaires des États. Mais la crise provoquée par la pandémie a décuplé et accéléré l’impact des difficultés, certains secteurs – tourisme, hôtellerie, transport aérien… – ont déjà perdu des centaines de milliers d’emplois. Ils risquent vraiment de disparaître, estime Étienne Giros.

Un point peu connu que le Président délégué du CIAN a également tenu à évoquer est celui de l’effondrement des transferts d’argent des diasporas, lesquels, en « temps normal », s’élèvent autour de 60 milliards de dollars par an, soit autant que les investissements internationaux annuels en Afrique. « On a mesuré, nous apprend Étienne Giros, que depuis le début de la crise sanitaire, à peu près 80 % à 90 % des transferts de la diaspora se sont interrompus. Or cet argent est en général utilisé pour vivre. Et donc, c’est une douleur, une souffrance qui touche les populations africaines de plein fouet. Ils ont encore moins d’argent pour vivre », observe-t-il.

La troisième difficulté qui a frappé les économies africaines, ce sont les perturbations de la production. Qu’on le veuille ou non, même si les mesures sanitaires – fermeture des frontières, couvre-feu, etc. – ont été adaptées et très sectorisées, elles ont ralenti l’économie. C’est pourquoi l’on s’attend à une récession en Afrique d’au moins 2,5 %. Mais et cela aurait pu être - 10 %, voire plus, donc « ce n’est pas un chiffre catastrophique, - 2,5 %, on s’en relève ! », estime Étienne Giros.

« Il faut garder espoir » ajoute-t-il, tout en relevant que les capacités d’endettement qui permettent à l’Europe de contrer les effets de la crise en injectant des centaines de milliards pour soutenir l’économie de l’Union ne sont pas disponibles en Afrique, nombre d’États étant déjà très endettés.

Ainsi « la situation de l’Afrique est à la fois assez bonne [sur le plan sanitaire] et inquiétante sur le plan économique (…)  
La réponse à cela, c’est qu’il faut tout faire pour aider les Africains, car autrement, ils ne s’en relèveront pas ! »

Source: Le Point